JSF: la crise monte en puissance

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Nous avons réuni trois informations qui viennent de diverses sources, qui convergent pour nous indiquer précisément que la crise du JSF est en cours de développement à un bon rythme. La crise “monte en puissance”, selon le langage géopoliticien et les perspectives commencent à s’ouvrir sur des possibilités jugées jusqu’alors impensables – que ce soit une menace contre le programme lui-même, ou contre la position de Robert Gates au Pentagone.

• Nous rappelons d’abord ce message d’un lecteur (ou d’une lectrice), “CMLFdA”, ce 6 novembre 2009, sur l’annonce que Gates a reçu un briefing sur les résultats de l’enquête (la deuxième) de l’équipe JET sur l’état du programme JSF. L’information, venue de Inside the Air Force, est également confirmée et commentée par le site JSF Nieuws, de notre ami Johan Boeder (ce 7 novembre 2009 – ici, lien donné vers la traduction anglaise de “Google”, à peu près buvable, qu’on peut aussi avoir en traduction française, mais absolument imbuvable). Le briefing donné à Gates est confirmé, ainsi que les conditions détaillées par JET-II, soit $17 milliards en plus sur 5 ans et 2 ans de délais. Avec, en ajout, venu de Inside the Defense, ce commentaire qu’aurait fait William Lynn, n°2 du Pentagone: «This is a big issue and it needs to be bumped up.»

• La même nouvelle de JSF Nieuws rapporte des déclarations d'un conseiller du général Schwartz, chef d’état-major de l’USAF, le colonel Erhardt: «On the other hand, there is a strong case for reducing the total F-35A procurement. The Air Force should consider cutting its planned buy to free up resources for other high-priority requirements. Reducing the Air Force plan to buy 1763 F-35As through 2034 by just over half, to 858 F-35As, and increasing the procurement rate to end in 2020 would be a prudent alternative. This would provide 540 combat-coded F-35As on the disaster, or thirty squadrons of F-35s by 2021 in time to allow the Air Force budget to absorb other program ramp-ups like New Generation Bomber. […] Although the case for reducing the total F-35A procurement has strong strategic logic, because of the multiservice and multinational aspects of the F-35 program, canceling the entire program is not a viable option. […] Still, [the F-35 program] represents an opportunity cost that poses the single greatest threat to the future Air Force's strategic viability, risks and bleeding on the Air Force white the next twenty years.»

• Un troisième facteur est une information du Jerusalem Post, le 4 novembre 2009, annonçant la venue de toute urgence d’une délégation de Lockheed Martin (LM) en Israël, pour tenter de convaincre la force aérienne de passer commande d’au moins 25 JSF.

«Senior officials from aerospace giant Lockheed Martin were in Israel on Tuesday for talks with the Defense Ministry, in an effort to convince Israel to overcome concerns and go ahead with plans to purchase the fifth-generation F-35 stealth fighter jet. Leading the delegation was Lockheed Martin Senior Vice President for Strategy & Business Development Bob Trice, who in Tuesday with Defense Ministry Director-General Pinhas buchris, as well as with senior officials from the Air Force and the IDF's Planning Division.»

Notre commentaire

@PAYANT Il s’agit de facteurs différents, mais avec tous comme lien principal le vacillement de la poutre centrale du programme, qui est le soutien plus ou moins affirmé du Pentagone au programme. Désormais, nous entrons dans la phase des “doutes plus ou moins affirmés”, au Pentagone, à propos du programme. Nous pouvons même déduire cela d’une négation qui, en elle-même, nous signifie que la possibilité qu’elle écarte existe dans l’esprit de certains. En effet, que le conseiller du chef d’état-major de l’USAF écarte l’option de l’abandon du programme JSF est en soi extraordinaire – puisqu’écarter cette option signifie que l’option existe tout de même – par définition, il est inutile d’écarter ce qui n’existe pas. Erhardt dit bien que l’abandon “n’est pas une option viable” («canceling the entire program is not a viable option»), et nullement que l’abandon du programme est une “no-option”, langage bureaucratique pour dire que la chose n’est pas envisagée, point final. Plus encore, il introduit d’autres nuances : ce qui n’est pas “une option viable”, c’est “abandonner tout le programme” – ce qui implique, ce qu’il nous dit mezzo voce, qu’en abandonner une partie est “viable”. Jamais de telles choses n’auraient été dites il y a seulement trois mois, à ce niveau aussi officiel. Ces paroles établissent que le JSF est désormais un programme comme les autres, alors qu’il était jusqu’alors absolument intouchable, comme une sorte de sainte relique de l'époque 9/11. Devenant un programme comme les autres et étant, comme on le constate chaque jour, un programme extrêmement tendu, incontrôlable et très vulnérable, et en grandes difficultés, il devient d’une fragilité extraordinaire. Et l’USAF ne fait plus de cadeau, parce que c’est simplement son avenir qui est en jeu.

Le général Schwartz, dont Erhardt est le conseiller, est pourtant un homme de Gates. Cela nous conduit à Gates lui-même. Que la direction de l’USAF complètement installée par Gates mette indirectement en cause un programme si complètement soutenu par le secrétaire à la défense est une indication de la tempête en cours. Gates est maintenant informé des réalités du programme JSF, et on a déjà eu des indications montrant qu’il tentait de prendre ses précautions par rapport à un soutien peut-être trop imprudemment et bruyamment affirmé au programme. Il ne fait aucun doute que l’affaire JSF, par sa grossièreté, son énormité, son importance stratégique immense, pourrait, si elle devenait une crise ouverte comme elle en prend le chemin, menacer la position du secrétaire à la défense lui-même. Jusqu’ici, les paroles qui ont le plus la forme d’avertissements lancés à Lockheed Martin sont venues des deux nouveaux adjoints de Gates, Wiliam Lynn et Ashton Carter, qui sont des hommes d’Obama remplaçant les deux faux-nez de Lockheed Martin, England et Young, qui ont quitté le Pentagone au début de l’année pour se reconvertir en lobbyistes du JSF (voir “E6P Partners”). Cela pourrait signifier qu’en cas de grandes difficultés, Gates se retrouverait bien seul. Là-dessus, on peut faire d’autres hypothèses, se référant à des informations officieuses de la possibilité d’un départ rapproché. Mais tout cela n’est qu’hypothèses, effectivement (“rumeurs”, dirait avec dédain un de ces porte-paroles officiels qui nous assurent depuis dix ans que le JSF se porte comme un charme). L’alternative à des difficultés grandissantes de Gates, et justement pour les éviter, ce serait une position beaucoup plus dure du même Gates à l’encontre de LM, pour reporter toute la faute de la situation sur le constructeur.

La dernière nouvelle, en annexe extérieure, s’inscrit bien dans le débat, dans le sens du dernier point mentionné. D’abord, ce n’est pas le Pentagone qui va voir les Israéliens, mais Lockheed Martin; signe que LM est de plus en plus seul et de plus en plus inquiet, et que le Pentagone de moins en moins incliné à se mouiller pour le JSF. Quant aux Israéliens, toutes leurs objections à l’achat du JSF à $140 millions l’exemplaire, alors que le programme prend eau de toutes parts, alors qu’ils sont soumis à des contraintes peu ordinaires de la part du Pentagone pour l’emploi de l’avion, demeurent sinon se durcissent. Il semble qu’eux non plus ne tiennent guère à monter pour le moment à bord d’un tel rafiot, qui tangue dans la tempête. “Too big to fail”?


Mis en ligne le 7 novembre 2009 à 14H30